La France est-elle végéphobe ? - 21/01/2013
Facile ou non d'être végétarien en France aujourd'hui ?
Article
du magazine Nexus : (11/2012, n°83)
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millions, c'est l'estimation du nombre de végétariens en France. Un chiffre en constante augmentation depuis les années 90, notamment par le biais du bio et de l'engouement pour la nourriture saine, mais comment cette nouvelle culture est-elle perçue au pays de la gastronomie carnée ? Tournés en dérision, marginalisés, dénigrés, certains « végés » n'hésitent pas à parler de combat. Alors, Facile d'être végétarien en France en 2012 ?
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Faut-il
manger de la viande ? Bien avant que l'écrivain américain Safran Foer ne s'interroge dans un récent ouvrage retentissant, l'opinion publique française s'est posé la question autour des années 90, avec la crise de la vache folle. Tout à coup, on a découvert au JT la réalité des conditions sanitaires dans les élevages industriels et la maltraitance des animaux. Le débat sur la « viande à tout prix » a commencé à opposer consommateurs et éleveurs. Le nombre de végétariens a-t-il augmenté dans notre pays depuis cet
épisode traumatisant ? Sans doute très peu, puisque l'on considère aujourd'hui que 3 % seulement de la population française adopte cette pratique alimentaire. D'après Fabrice Nicolino, l'auteur de "Bidoche, l'industrie de la viande menace le monde", nous n'avons pas tiré les leçons de la maladie de la vache folle et des autres scandales qui ont pu suivre. Pourtant, le succès rencontré par des ouvrages comme ceux de Foer ou de Nicolino et l'engouement pour les livres de cuisine végétarienne témoignent
d'un intérêt et d'une demande croissante d'information en la matière. Parallèlement, la tolérance à l'égard des végétariens laisse encore à désirer. Ostracisme pour certains, simple négation pour d'autres... le végétarien français ne semble pas dans son assiette.
Touche
pas à ma viande !
C'est
un peu le message lancé par la France au reste du monde. Le Sénat bafoue, par exemple, les préconisations émises depuis 1999 par le Conseil de l'Europe au sujet des conditions d'élevage et de gavage. Pour conserver les aides financières de la PAC et éviter des écueils aux éleveurs, le foie gras, ce produit qui engendre souffrance et maladie chez les oies et les canards, a été inscrit en 2005 au « patrimoine culturel et gastronomique protégé en France », Une ingénieuse manipulation qui repousse à 2016 l'obligation
d'une mise aux normes des exploitations. Sur ce sujet, la France reste très marginale: l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, l'Irlande... ont déjà interdit la fabrication et la vente du foie gras. Les irréductibles Gaulois, qui ne sont pourtant par les derniers à s'indigner devant la consommation de chiens, de chats ou de baleines en Asie, résistent. Et pour cause: le gavage a rapporté 1,8 milliard d'euros à l'Hexagone en 2010.
Récemment,
c'est une histoire d'affiches un peu trop dénonciatrices qui alerte la FNSEA (la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles). En avril dernier, à l'occasion de la Semaine du développement durable, la Sodexo (grande entreprise de restauration collective française d'envergue internationale) placarde timidement, dans 50 de ses 700 restaurants d'entreprise, des affiches incitant à moins consommer de viande: «
Le saviez-vous ? La production d'un kilo de viande de veau pollue autant qu'un trajet automobile de 220 km ! » Des informations pourtant vraies, mais jugées calomnieuses par la FNSEA, qui apostrophe la Sodexo et la pousse aux excuses et au démenti ! S'agissait-il pour l'entreprise de draguer quelques végétariens et écologistes clients de ses restaurants ou bien d'un réel souci d'informer ? Toujours
est-il que même le « greenwashing » cède aux remontrances des puissants lobbies de la viande...
Viande
pour tous !
Autre
service de restauration, autre clientèle: pas question que nos jeunes succombent aux sirènes du végétarisme. Pour s'en assurer, un décret et un arrêté du gouvernement publiés au Journal officiel viennent d'entrer en vigueur début septembre: les règles nutritionnelles dans le cadre de la restauration collective scolaire imposent désormais la présence d'un produit d'origine animale à chaque repas servi. Proposant peu ou pas d'autres choix aux jeunes végétariens que de rentrer chez eux ou de grignoter, ce décret
vient, de plus, saper tous les efforts entrepris par les municipalités comme Marseille ou Paris, où des repas végétariens sont proposés. Le maire du 2ème arrondissement de Paris, Jacques Boutault, qui a instauré les Mardis végétariens depuis janvier 2009, ne décolère pas: « Les parents sont de plus en plus nombreux à vouloir qu'on limite la viande. Sous prétexte d'une meilleure nutrition, ce décret
favorise les lobbies de la viande. » Cinq grandes associations dont l'Association végétarienne de France (AVF), et L214, consacrée à la protection de l'éthique animale, s'insurgent contre ce décret et ont déposé un recours devant le Conseil d'État pour les motifs de «
violation de la liberté de conscience, non-durabilité du modèle alimentaire imposé, et incompétence du pouvoir réglementaire ».
Le décret
a fait parler de lui outre-Manche, notamment à travers le chanteur Paul McCartney, végétarien militant et figure de l'association Peta (People for the Ethical Treatment of Animals), qui a publiquement interpellé le gouvernement français en dénonçant le manquement à « la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en privant les individus du droit d'exprimer leurs convictions ». Il ajoute, par ailleurs, que « personne n'a besoin de manger des animaux et [que] nous pouvons lutter contre le changement climatique et réduire le risque de souffrir de maladies cardiovasculaires et d'autres affections en réduisant notre consommation de viande ».
Désert
végétarien :
«
Je viens de passer neuf mois à Paris pour mon travail, raconte un Belge sur un blog. Mon Dieu... Mon Dieu... Je vous plains... La France/Paris, c'est le désert du végétarisme... Vous vivez au Moyen Âge... » Cela n'est pas une histoire belge, mais un témoignage assez récurrent de la part de nos voisins européens. Une mère anglaise raconte sur son blog la réponse
qui lui a été faite par la responsable de la cantine du collège où était scolarisé son fils, déterminé à être végétarien: « Le végétarisme n'est pas un régime reconnu en France, me dit-elle. Nous avons le devoir de tout mettre dans son assiette, même s'il ne le mange pas. »
Il suffit
de passer les frontières pour constater à quel point nous sommes privés de tout un ensemble de succédanés de viande aisément disponibles ailleurs. « J'achète du Quorn, je trouve du seitan, du tempeh, des Croq'Soja et autres galettes de céréales très facilement au supermarché, en Belgique. Quand je viens en France, à moins d'aller dans des magasins bio plutôt onéreux, il m'est très difficile de trouver
des produits végétariens. Il me reste les pâtes et les associations céréales/légumineuses pour manger équilibré », constate Lila, qui vit près de la frontière.
Casse-tête
:
Les produits
végétariens en France sont portés par l'engouement pour les produits bio et japonisants. Ainsi, se développe toute une gamme d'aliments issus du soja, s'adressant à tous sans vraiment flatter les végétariens. « Cest quand même triste de devoir aller au rayon "produits du monde" pour faire ses courses quand on est végé en France... », déplore Alex sur
un forum.
Au restaurant,
le casse-tête est similaire. Très peu d'alternatives sont proposées, si ce n'est le réagencement improvisé d'un plat en supprimant la portion de viande. Une option qui n'est guère satisfaisante pour Agnès: « Cela me dérange, je suis devenue végétarienne parce que je ne supporte plus de manger des animaux (grâce, entre autres, au livre de Jonathan Safran Foer). Alors je ne suis pas d'accord pour manger
un plat qui a été cuisiné avec des produits d'origine animale, même si on les retire de l'assiette. Par ailleurs, je ne cuisine plus non plus des animaux. Mon mari cuit lui-même son poulet s'il désire en manger. » Dans les grandes villes, les végétariens ont la chance de pouvoir se «rabattre» sur les restaurants bio, indiens, italiens, libanais... des cultures qui intègrent depuis toujours dans leur
tradition culinaire de nombreux plats sans viande ou poisson. Dans les restaurants de province, le choix est vite fait: ce sera salade, omelette, frites ou toasts au chèvre chaud. Pour l'équilibre nutritionnel, on repassera.
Mange
ta viande !
À côté des stentors des lobbies de la viande qui ont leurs entrées dans les écoles, les mouvements provégétariens ont toutes les peines du monde à se faire entendre des jeunes générations. Nombreux, pourtant, sont les enfants qui, un jour ou l'autre, «bloquent» devant leur assiette parce qu'ils viennent de faire le lien entre
le morceau de steak et l'animal d'origine... Une prise de conscience que le matraquage médiatique des industries de la viande et la pression ambiante ne tardent pas à décourager. Le Centre d'information des viandes, un organe subventionné par les industries, a quartier libre, par le biais de journées d'animations scolaires, pour délivrer la bonne parole d'une alimentation équilibrée (avec un produit issu de leur filiale par jour, au minimum).
Le
Programme national nutrition santé (PNNS) participe à la croisade, avec sa campagne « Manger bouger », qui touche une large audience grâce à un nombre faramineux de supports, en montrant clairement son hostilité au végétarisme.
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Sur le
site Internet du PNNS, on peut lire des mises en garde contre le végétarisme et le végétalisme. On remarquera une rhétorique bien différente dans les campagnes du PNNS belge, qui indiquent sur leurs brochures à destination du jeune public: « Pas de problème, une alimentation sans viande est entièrement compatible avec une alimentation équilibrée. Tu dois juste veiller à des apports suffisants en fer
et en vitamine B12, deux nutriments abondants dans la viande. Aussi, veille à associer les bons aliments dans tes menus. » Les Belges auraient-ils des besoins journaliers différents des Français ?
Le végétarisme
est volontiers associé aux mouvements sectaires. Dans les rapports d'analyse et d'identification des sectes du site gouvernemental Miviludes, on invite à se méfier des groupements de personnes qui le prônent.
Signes
d'ouverture :
En dépit
de tous ces obstacles, il semble que, du côté de l'opinion publique, l'ouverture au végétarisme soit en bonne voie. Aurélia, de l'AVF, en témoigne: « On sent une vraie demande. On a doublé le nombre de nos adhérents en une année. Les gens s'intéressent parfois même sans faire le choix d'une alimentation 100 % végétarienne dans leur vie de tous les jours. » En effet, apparaissent de plus en plus de « flexitariens », consommateurs occasionnels de viande, plus solubles dans notre société, à la fois carnivores décomplexés et végétariens sans ostentation.
C'est
à travers l'engouement pour la littérature végétarienne que cette évolution est la plus visible. Des éditions comme La plage, qui proposent notamment des livres de cuisine bio et essentiellement végétarienne, sont en pleine expansion. Les blogs de cuisine végétarienne, végétalienne et bio explosent littéralement. La créatrice culinaire Valérie Cupillard incarne avec succès cette envie d'une cuisine riche, savoureuse et saine.
Le 5
octobre s'est ouvert à Paris, boulevard Voltaire, le premier fast-food végétarien en France. Stéphane, créateur de l'East Side Burgers, raconte: « Nous sommes végétariens tous les deux et la junk food (entre autres) ne nous fait pas peur. Nous nous faisions déjà nos propres burgers chez nous, mais c'est en allant à Londres ou à New York, San Francisco, etc. que nous avons pu constater qu'il existait
des fastfoods végétariens voire végétaliens. Nous avons commencé à en parler il y a deux ans et puis, petit à petit, nous avons commencé à nous activer un peu et voilà le résultat. » Et la clientèle se révèle assez diversifiée: « Nous sommes tout public (de 7 à 77 ans). Nous avons des omnivores
juste là pour goûter de nouveaux burgers, mais aussi des végétariens et des végétaliens contents de voir qu'enfin quelqu'un les a entendus. » Alors ? Tendance, le végétarisme ?
Nathalie
Jouat
Mon avis : (C.M.)
Autant
le végétarien ou le végétalien respecte bien souvent le choix du régime alimentaire d'autrui, autant le contraire est rarement le cas. Et pourtant, en toute lucidité et en appui de nombreuses études scientifiques parfaitement fiables (surtout à l'étranger), le régime végétarien (et encore plus végétalien) a pour lui de très nombreux avantages (économique, éthique, sanitaire, respectueux de la nature, etc.). Il est toujours curieux de constater que le précurseur est bien souvent persécuté, même si le temps
lui donne bien souvent raison. Mais tant que les intérêts économiques des lobbies passeront avant l'intérêt des populations et de notre précieuse Nature, les choses n'évolueront que très doucement.
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